Un jugement de Pierre Hadot sur Michel Foucault

Afin de mettre en perspective la position de Martha Nussbaum, voici tiré des entretiens avec Arnold Davidson et Jeannie Carlier un passage éclairant le jugement que Hadot portait sur Foucault :

" A.D. : Pouvez-vous résumer vos divergences philosophiques avec Foucault, et notamment votre critique de ses idées de culture de soi, sur l'esthétique de l'existence ?

Il faut dire tout d'abord que nos méthodes étaient très différentes. Foucault était sans doute, en même temps que philosophe, un historien des faits sociaux et des idées, mais il n'avait pas pratiqué la philologie, c'est-à-dire tous les problèmes liés à la tradition des textes anciens, le déchiffrement des manuscrits, le problème des éditions critiques, le choix des variantes textuelles. En éditant et traduisant Marius Victorinus, Ambroise de Milan, les fragments du commentaire du Parménide, Marx-Aurèle, certains traités de Plotin, j'ai acquis une certaine expérience qui me permettait d'aborder les textes anciens dans une tout autre perspective que lui. Notamment, je me suis toujours attaché à l'étude attentive du mouvement de la pensée de l'auteur et la recherche de ses intentions. Il n'attachait pas beaucoup d'importance à l'exactitude des traductions, utilisant souvent de vieilles traductions peu sûres.

Ma première divergence se trouve dans la notion de plaisir. Pour Foucault, l'éthique du monde gréco-romain est une éthique du plaisir que l'on prend en soi-même. Cela pourrait être vrai pour les épicuriens, dont Foucault parle finalement assez peu. Mais les stoïciens auraient rejeté cette idée d'une éthique du plaisir. Ils distinguaient soigneusement le plaisir et la joie, et la joie, pour eux - la joie, et non pas le plaisir -, se trouvait non pas dans le moi tout court, mais dans la meilleure partie du moi. Sénèque ne trouve pas sa joie dans Sénèque, mais dans Sénèque identifié à la Raison universelle. On s'élève d'un niveau du moi à un autre , transcendant. Par ailleurs, dans sa description de ce qu'il appelle les pratiques de soi, Foucault ne met pas suffisamment en valeur la prise de conscience de l'appartenance au Tout cosmique, et la prise de conscience de l'appartenance à la communauté humaine, prises de conscience qui correspondent aussi à un dépassement de soi. Enfin, je ne pense pas que le modèle éthique adapté à l'homme moderne puisse être un esthétique de l'existence. Je crains que cela ne soit finalement qu'une nouvelle forme du dandysme." (La philosophie comme manière de vivre p.214-215 2001)

La critique centrale, la question de la compétence philologique laissée de côté, touche juste. Post-kantien et nietzschéen, Foucault ne pouvait pas prendre au sérieux le grandiose et bien fragile cadre métaphysique qui fonde l'éthique stoïcienne (le problème intéressant est précisément de savoir que garder alors du stoïcisme et comment le justifier). Pierre Hadot est donc en mesure de reprocher à Michel Foucault son refus de toute transcendance et de toute métaphysique ayant une portée cosmologique, sa méfiance vis-à-vis d'un concept aussi chargé métaphysiquement que celui d'humanité et donc une forme de nominalisme porté à prendre en compte les hommes concrets plutôt que l'Homme (à ce niveau l'héritage marxiste est aussi manifeste). On peut alors appeler dandysme une doctrine de la mise en forme de soi qui n'est pas en mesure de s'adosser sur une métaphysique, au sens classique de ce terme (et non au sens rajeuni que lui donnent certains philosophes analytiques).

Comme Martha Nussbaum, Pierre Hadot, à la différence de Foucault, ne décontextualise pas les éthiques antiques de leur arrière-plan métaphysique. À coup sûr, c'est le stoïcisme qui avec son finalisme providentiel semble le plus difficile à mettre en harmonie avec nos connaissances. L'épicurisme, rejetant le finalisme, dépeignant un univers sans raison et explicable exclusivement par des causes atomiques, sensible avec Lucrèce à l'évolution, paraît moins lourd à défendre dans la perspective d'un rationalisme post-Lumières. Ceci dit, c'est à condition de ne pas prendre non plus au sérieux l'affirmation épicurienne de l'existence des Dieux.[source]

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Voltaire: Poeme sur le Desastre de Lisbonne (1756, original edition)

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Voltaire: Poeme sur le Desastre de Lisbonne (1756)

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J. P. Le Bas, Praça da Patriarcal après le tremblement de terre de 1755
in Recueil des plus belles ruines de Lisbonne, Paris, 1757
Gravure d'après des dessins de Paris et Pedegache


POEME SUR LE DESASTRE DE LISBONNE OU EXAMEN DE CET AXIOME: "TOUT EST BIEN"


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Patrick Massa: Vae Victis. La Face Sombre de la Méritocratie

Patrick Massa, « VAE VICTIS. LA FACE SOMBRE DE LA MÉRITOCRATIE », Revue du MAUSS permanente, 10 janvier 2010 [en ligne]. http://www.journaldumauss.net/spip.php?article613

Est-il sûr qu’une société régie par l’égalité des chances et dans laquelle chacun recevrait effectivement ce qu’il mérite soit effectivement désirable ? La société la meilleure ? La plus juste ? Contrairement aux apparences, ne serait-elle pas en fait la plus effrayante, la plus insupportable, comme le suggère l’auteur dans le sillage de la contre-utopie de Michael Young ? On lira ici une analyse particulièrement fouillée et informée de la question. Rappelons, sur le même thème, les analyses de Dominique Girardot dans ses deux articles : Devons-nous mériter notre salaire ?, Revue du Mauss, n° 29, 2007 et Les Apories du mérite, Revue du Mauss, n° 32, 200.

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Don Quijote y las Figuras del Barroco

Felix Duque (org). El yo fracturado: Don Quijote y las Figuras del Barroco. Madrid: Consorcio del Circulo de Bellas Artes.

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Maurice Blanchot, de proche en proche

Hoppenot, Eric (dir.) Maurice Blanchot, de proche en proche. Paris: Editions Complicités, 2007

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Journal d'un Chinois

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Un weblog écrit en français, sur Philosophie, Chine et Sinologie

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Barthes and the Death of the Author

The Guardian:

Kicking off a new occasional series about the most influential literary theory, Andrew Gallix revisits a classic essay by Roland Barthes.

Ecclesiastes famously warns us that "Of making many books there is no end" – the same, of course, applies to book commentaries. George Steiner has long denounced the "mandarin madness of secondary discourse" which increasingly interposes itself between readers and works of fiction. For better or worse, the internet – with its myriad book sites – has taken this phenomenon to a whole new level. Since Aristotle's Poetics, literature has always given rise to its exegesis, but now that no scrap of literary gossip goes untweeted, it may be time to reflect a little on the activity of literary criticism.

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An illustrated history of trepanation

Neurophilosophy:

Trepanation, or trephination (both derived from the Greek word trypanon, meaning "to bore") is perhaps the oldest form of neurosurgery. The procedure, which is called a craniotomy in medical terminology, involves the removal of a piece of bone from the skull, and it has been performed since prehistoric times. The oldest trepanned skull, found at a neolithic burial site of Ensisheim in France, is more than 7,000 years old, and trepanation was practised by the Ancient Egyptians, Chinese, Indians, Romans, Greeks and the early Mesoamerican civilizations. The procedure is still performed today, for both medical and non-medical reasons. [entyre text]

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Lévi-Strauss et la Photographie



In 1935, Claude Lévi-Strauss accepted the postion of Professor of Sociology at São Paulo in Brazil. During that year and the one that followed, he carried out several ethnographic expeditions during which he focussed on photographing the places that he saw and the people that he met. Here are some of those taken amongst the Amazonian Bororo and Caduveo. In each case, the editions are made on barium paper.

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Patrice Maniglier: A Bicicleta de Levi-Strauss

Maniglier, Patrice. A Bicicleta de Levi-Strauss (PDF). cadernos de campo, São Paulo, n. 17, p. 1-348, 2008

Apontou-se freqüentemente na antropologia simbólica a sua negação da política e a sua maneira de reduzir as violências sociais e históricas a restrições gramaticais. Este artigo mostra que, pelo contrário, é pela mesma razão que o homem é um animal simbólico e é um animal político. Se, com efeito, a noção de sistema simbólico implica um espaço finito de possibilidades determinadas umas em relação às outras, podemos mostrar que o tipo de sistematicidade que as caracteriza implica sempre uma possibilidade supranumerária, que só pode ser atualizada por um “ato”. Que o sujeito não seja o mestre dos seus signos não significa que a liberdade seja apenas uma ilusão, mas sim que ela é real, inerente a essas realidades muito singulares que são os signos e às operações que os fazem advir. Liberdade objetiva que consiste antes em fazer advir as possibilidades do mundo que em realizar nele seus ideais, mas finita, pois é sempre a do deslocamento de uma limitação de possibilidades a uma outra. Assim a antropologia se mostra como aquilo que jamais deixou de ser: uma ciência moral.

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Martin Heidegger: O Caminho do Campo

(Der Feldweg – 1949) In Gesamtausgabe Nº 013 – Aus der Erfahrung des Denken (Sobre a Experiência do Pensar) Tradução de Ermildo Stein 

Do portão do jardim do Castelo estende-se até as planícies úmidas do Ehnried. Sobre o muro, as velhas tílias do jardim acompanham-no com o olhar, estenda ele, pelo tempo da Páscoa, seu claro traço entre as sementeiras que nascem e as campinas que despertam, ou desapareça, pelo Natal, atrás da primeira colina, sob turbilhões de neve. Próximo da cruz do campo, dobra em busca da floresta. Saúda, de passagem, à sua orla, o alto carvalho que abriga um banco esquadrado na madeira crua.

Nele repousava, as vezes, este ou aquele texto dos grandes pensadores, que um jovem desajeitado procurava decifrar. Quando os enigmas se acotovelavam e nenhuma saída se anunciava, o caminho do campo oferecia boa ajuda: silenciosamente acompanha nossos passos pela sinuosa vereda, através da amplidão da terra agreste.

O pensamento sempre de novo as voltas com os mesmos textos ou com seus próprios problemas, retorna à vereda que o caminho estira através da campina.
Sob os pés, ele permanece tão próximo daquele que pensa quanto do camponês que de madrugada caminha para a ceifa.

Mais freqüente com o correr dos anos, o carvalho à beira do caminho leva a lembrança aos jogos da infância e as primeiras escolhas. Quando, as vezes, no coração da floresta tombava um carvalho sob os golpes do machado, meu pai logo partia, atravessando a mataria e as clareiras ensolaradas, à procura do estéreo de madeira destinado à sua oficina. Era lá que trabalhava solícito e concentrado, nos intervalos de sua ocupação junto ao relógio do campanário e aos sinos, que, um e outros, mantêm relação própria com o tempo e a temporalidade.

Os meninos, porém, recortavam seus navios na casca do carvalho. Equipados de banco para o remador e de timão, flutuavam os barcos no Mettenbach ou no lago da escola. Nesses folguedos, as grandes travessias atingiam facilmente seu termo e facilmente recobravam o porto. A dimensão de seu sonho era protegida por um halo, apenas discernível, pairando sobre todas as coisas. O espaço aberto era-lhe limitado pelos olhos e pelas mãos da mãe. Tudo se passava como se sua discreta solicitude velasse sobre todos os seres.

Essas travessias de brinquedos nada podiam saber das expedições em cujo curso todas as margens ficam para trás. Entrementes, a consistência e o odor do carvalho começavam a falar, já perceptivelmente, da lentidão e da constância com que a árvore cresce. O carvalho mesmo assegurava que só semelhante crescer pode fundar o que dura e frutifica; que crescer significa: abrir-se à amplidão dos céus, mas também deitar raízes na obscuridade da terra; que tudo o que é verdadeiro e autêntico somente chega à maturidade se o homem for simultaneamente ambas as coisas: disponível ao apelo do mais alto céu e abrigado pela proteção da terra que oculta e produz.

Isto o carvalho repete sempre ao caminho do campo, que diante dele corre seguro de seu destino. O caminho recolhe aquilo que tem seu ser em torno dele; e dá a cada um dos que o percorrem aquilo que é seu. Os mesmos 2 campos, as mesmas encostas da colina escoltam o caminho em cada estação, próximos dele com proximidade sempre nova. Quer a cordilheira dos Alpes acima das florestas se esbata no crepúsculo da tarde, quer de onde o caminho ondeia entre os outeiros, a cotovia de manhã se lance ao céu de verão, quer o vento leste sopre a tempestade do lado em que jaz a aldeia natal da mãe, quer o lenhador carregue, ao cair da noite, seu feixe de gravetos para a lareira, quer o carro da colheita se arraste em direção ao celeiro, oscilando pelos sulcos do caminho, quer apanhem as crianças as primeiras primaveras na ourela do prado, quer passeie a neblina ao longo do dia sua sombria massa sobre o vale, sempre e de todos os lados fala, em torno do caminho do campo, o apelo do Mesmo.

O Simples guarda o enigma do que permanece e do que e grande. Visita os homens inesperadamente, mas carece de longo tempo para crescer e amadurecer. O dom que dispensa está escondido na inaparência do que é sempre o Mesmo. As coisas que amadurecem e se demoram em torno do caminho, em sua amplitude e em sua plenitude dão o mundo. Como diz o velho mestre Eckhart, junto a quem aprendemos a ler e a viver, é naquilo que sua linguagem não diz que Deus e verdadeiramente Deus.

Todavia, o apelo do caminho do campo fala apenas enquanto homens nascidos no ar que o cerca forem capazes de ouvi-lo. São servos de sua origem, não escravos do artifício.

Em vão o homem através de planejamentos procura instaurar uma ordenação no globo terrestre, se não for disponível ao apelo do caminho do campo. O perigo ameaça, que o homem de hoje não possa ouvir sua linguagem. Em seus ouvidos retumba o fragor das máquinas que chega a tomar pela voz de Deus. Assim o homem se dispersa e se torna errante. Aos desatentos o Simples parece uniforme. A uniformidade entedia. Os entediados só vêem monotonia a seu redor. O Simples desvaneceu-se. Sua força silenciosa esgotou-se.

O número dos que ainda conhecem o Simples como um bem que conquistaram, diminui, não há dúvida, rapidamente. Esses poucos, porém, serão, em toda a parte, os que permanecem. Graças ao tranqüilo poder do caminho do campo, poderão sobreviver um dia às forças gigantescas da energia atômica, que o cálculo e a sutileza do homem engendraram para com ela entravar sua própria obra.

O apelo do caminho do campo desperta um sentido que ama o espaço livre e que, em momento oportuno, transfigura a própria aflição na serenidade derradeira. Esta opõe-se à desordem do trabalho pelo trabalho: procurado apenas por si o trabalho promove aquilo que nadifica.

Do caminho do campo ergue-se, no ar variável com as estações, uma serenidade que sabe, e cuja face parece muitas vezes melancólica.

Esta gaia ciência é uma sageza sutil. Ninguém a obtém sem que já a possua. Os que a têm, receberam-na do caminho do campo. Em sua senda cruzam-se a tormenta do inverno e o dia da messe, a irrupção turbulenta da primavera e o ocaso tranqüilo do outono; a alegria da juventude e a sabedoria da maturidade nela surpreendem-se mutuamente. Tudo, porém, se insere placidamente numa única harmonia, cujo eco o caminho do campo em seu silêncio leva de um para outro lado.

A serenidade que sabe é uma porta abrindo para o eterno. Seus batentes giram nos gonzos que um hábil ferreiro forjou um dia com os enigmas da existência.

Das baixas planícies do Ehnried, o caminho retorna ao jardim do Castelo. Galgando a última colina sua estreita faixa transpõe uma depressão e chega 3 ás muralhas da cidade. Uma vaga luminosidade desce das estrelas e se espraia sobre as coisas. Atrás do castelo alteia-se a torre da igreja de São Martinho. Vagarosamente, quase hesitantes, soam as badaladas das onze horas, desfazendo-se no ar noturno. O velho sino, em suas cordas outrora mãos de menino se aqueciam rudemente, treme sob o martelo das horas, cuja silhueta jocosa e sombria ninguém esquece.

Após a última batida, o silêncio ainda mais se aprofunda. Estende-se até aqueles que foram sacrificados prematuramente em duas guerras mundiais. O Simples torna-se ainda mais simples. O que é sempre o Mesmo desenraiza e liberta. O apelo do caminho do campo é agora bem claro.

É a alma que fala? Fala o mundo? Ou fala Deus?

Tudo fala da renúncia que conduz ao Mesmo. A renúncia não tira. A renúncia dá. Dá a força inesgotável do Simples. O apelo faz-nos de novo habitar uma distante Origem, onde a terra natal nos é devolvida.

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Michel Foucault: "Ecrire..."

Ecrire ne m'intéresse que dans la mesure où cela s'incorpore à la nécessité d'un combat, à titre d'instrument, de tactique, d'éclairage. Je voudrais que mes livres soient des sortes de bistouris, de cocktails Molotov ou de galeries de mine, et qu'ils se carbonisent après usage, à la manière de feux d'artifice.
Foucault, M. Sur la sellette (entretien avec J. L. Ezine, 1977, Dits et Écrits, II, n. 152, p. 725.

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Steve McCurry: Children at Play

No matter how dire the situation, how dangerous the environment, children need to play. [source]

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Gilles Deleuze et Felix Guattari: L´Anti-Oedipe (1972)

Lien pour telecharger le livre.

L’Anti-Oedipe : Une introduction à la vie non fasciste

- Magazine littéraire 257 (September 1988),
Mise en ligne le mercredi 19 octobre 2005

Ce texte de Michel Foucault, inédit en français, a servi de préface à l’édition américaine de ’Capitalisme et schizophrénie, l’Anti-Oedipe’ de Gilles Deleuze et Félix Guattari. Il sera repris dans Dits et écrits, recueil des articles, entretiens, préfaces et autres contributions de Michel Foucault, à paraître aux éditions Gallimard en 1989 [Multitudes]

Pendant les années 1945-1965 (je pense à l’Europe), il y avait une certaine manière correcte de penser, un certain style de discours politique, une certaine éthique de l’intellectuel. Il fallait être à tu et à toi avec Marx, ne pas laisser ses rêves vagabonder trop loin de Freud, et traiter les systèmes de signes - le signifiant - avec le plus grand respect. Telles étaient les trois conditions qui rendaient acceptable cette singulière occupation qu’est le fait d’écrire et d’énoncer une part de vérité sur soi-même et sur son époque.

Puis vinrent cinq années brèves, passionnées, cinq années de jubilation et d’énigme. Aux portes de notre monde, le Vietnam, évidemment, et le premier grand coup porté aux pouvoirs constitués. Mais ici, à l’intérieur de nos murs, que se passait-il exactement ? Un amalgame de politique révolutionnaire et antirépressive ? Une guerre menée sur deux fronts - l’exploitation sociale et la répression psychique ? Une montée de la libido modulée par le conflit des classes ? C’est possible. Quoi qu’il en soit, c’est par cette interprétation familière et dualiste que l’on a prétendu expliquer les événements de ces années. Le rêve qui, entre la Première Guerre mondiale et l’avènement du fascisme, avait tenue sous son charme les fractions les plus utopistes de l’Europe - l’Allemagne de Wilhelm Reich et la France des surréalistes - était revenue pour embraser la réalité elle-même : Marx et Freud éclairés par la même incandescence.

Mais est-ce bien là ce qui s’est passé ? S’est-il bien agi d’une reprise du projet utopique des années trente, cette fois à l’échelle de la pratique historique ? Ou y a-t-il eu, au contraire, un mouvement vers des luttes politiques qui ne se conformaient plus au modèle prescrit par la tradition marxiste ? Vers une expérience et une technologie du désir qui n’étaient plus freudiennes ? On a certes brandi les vieux étendards, mais le combat s’est déplacé et a gagné de nouvelles zones.

L’Anti-Oedipe montre, tout d’abord, l’étendue du terrain couvert. Mais il fait beaucoup plus. Il ne se dissipe pas dans le dénigrement des vieilles idoles, même s’il s’amuse beaucoup avec Freud. Et surtout, il nous incite à aller plus loin.

Ce serait une erreur de lire L’Anti-Oedipe comme la nouvelle référence théorique (vous savez, cette fameuse théorie qu’on nous a si souvent annoncée : celle qui va tout englober, celle qui est absolument totalisante et rassurante, celle, nous assure-t-on, dont « nous avons tant besoin » en cette époque de dispersion et de spécialisation d’où « l’espoir » a disparu). Il ne faut pas chercher une « philosophie » dans cette extraordinaire profusion de notions nouvelles et de concepts-surprise : L’Anti-Oedipe n’est pas un Hegel clinquant. La meilleure manière, je crois, de lire L’Anti-Oedipe, est de l’aborder comme un « art », au sens où l’on parle d’« art érotique », par exemple. S’appuyant sur les notions en apparence abstraites de multiplicités, de flux, de dispositifs et de branchements, l’analyse du rapport du désir à la réalité et à la « machine » capitaliste apporte des réponses à des questions concrètes. Des questions qui se soucient moins du pourquoi des choses que de leur comment. Comment introduit-on le désir dans la pensée, dans le discours, dans l’action ? Comment le désir peut-il et doit-il déployer ses forces dans la sphère du politique et s’intensifier dans le processus de renversement de l’ordre établi ? Ars erotica, ars theoretica, ars politica.

D’où les trois adversaires auxquels L’Anti-Oedipe se trouve confronté. Trois adversaires qui n’ont pas la même force, qui représentent des degrés divers de menace, et que le livre combat par des moyens différents.

1. Les ascètes politiques, les militants moroses, les terroristes de la théorie, ceux qui voudraient préserver l’ordre pur de la politique et du discours politique. Les bureaucrates de la révolution et les fonctionnaires de la Vérité. 2. Les pitoyables techniciens du désir - les psychanalystes et les sémiologues qui enregistrent chaque signe et chaque symptôme, et qui voudraient réduire l’organisation multiple du désir à la loi binaire de la structure et du manque. 3. Enfin, l’ennemi majeur, l’adversaire stratégique (alors que l’opposition de L’Anti-Oedipe à ses autres ennemis constitue plutôt un engagement tactique) : le fascisme. Et non seulement le fascisme historique de Hitler et de Mussolini - qui a su si bien mobiliser et utiliser le désir des masses - mais aussi les fascisme qui est en nous tous, qui hante nos esprits et nos conduites quotidiennes, le fascisme qui nous fait aimer le pouvoir, désirer cette chose même qui nous domine et nous exploite.

Je dirais que L’Anti-Oedipe (puissent ses auteurs me pardonner) est un livre d’éthique, le premier livre d’éthique que l’on ait écrit en France depuis assez longtemps (c’est peut-être la raison pour laquelle son succès ne s’est pas limité à un « lectorat » particulier : être anti-Oedipe est devenu un style de vie, un mode de pensée et de vie). Comment faire pour ne pas devenir fasciste même quand (surtout quand) on croit être un militant révolutionnaire ? Comment débarrasser notre discours et nos actes, nos cœurs et nos plaisirs, du fascisme ? Comment débusquer le fascisme qui s’est incrusté dans notre comportement ? Les moralistes chrétiens cherchaient les traces de la chair qui s’étaient logées dans les replis de l’âme. Deleuze et Guatari, pour leur part, guettent les traces les plus infimes du fascisme dans le corps.

En rendant un modeste hommage à saint François de Sales (Homme d’Eglise du XVIIe siècle, qui fut évêque de Genève. Il est connu pour son Introduction à la vie dévote), on pourrait dire que L’Anti-Oedipe est une introduction à la vie non fasciste.

Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles soient déjà installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de la vie quotidienne :

* Libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante.

* Faites croître l’action, la pensée et les désirs par prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et hiérarchisation pyramidale.

* Affranchissez-vous des vieilles catégories du Négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune) que la pensée occidentale a si longtemps tenu sacré en tant que forme de pouvoir et mode d’accès à la réalité. Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniformité, les flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire mais nomade.

* N’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire.

* N’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de Vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique.

* N’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse les « droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis. L’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est « désindividualiser » par la multiplication et le déplacement, l’agencement de combinaisons différentes. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de « désindividualisation ». * Ne tombez pas amoureux du pouvoir.

On pourrait même dire que Deleuze et Guattari aiment si peu le pouvoir qu’ils ont cherché à neutraliser les effets de pouvoir liés à leur propre discours. D’où les jeux et les pièges que l’on trouve un peu partout dans le livre, et qui font de sa traduction un véritable tour de force. Mais ce ne sont pas les pièges familiers de la rhétorique, ceux qui cherchent à séduire le lecteur sans qu’il soit conscient de la manipulation, et finissent par le gagner à la cause des auteurs contre sa volonté. Les pièges de L’Anti-Oedipe sont ceux de l’humour : tant d’invitations à se laisser expulser, à prendre congé du texte en claquant la porte. Le livre donne souvent à penser qu’il n’est qu’humour et jeu là où pourtant quelque chose d’essentiel se passe, quelque chose qui est du plus grand sérieux : la traque de toutes les formes de fascisme, depuis celles, colossales, qui nous entourent et nous écrasent, jusqu’aux formes menues qui font l’amère tyrannie de nos vies quotidiennes.

Traduit de l’anglais par Fabienne Durand-Bogaert.


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Lorem Ipsum

"All testing, all confirmation and disconfirmation of a hypothesis takes place already within a system. And this system is not a more or less arbitrary and doubtful point of departure for all our arguments; no it belongs to the essence of what we call an argument. The system is not so much the point of departure, as the element in which our arguments have their life."
- Wittgenstein

Lorem Ipsum

"Le poète ne retient pas ce qu’il découvre ; l’ayant transcrit, le perd bientôt. En cela réside sa nouveauté, son infini et son péril"

René Char, La Bibliothèque est en feu (1956)


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