René Char: À la santé du serpent
À la santé du serpent est composé d’un ensemble d’aphorismes inséré dans Le poème pulvérisé, un recueil publié pour la première fois par la revue Fontaine en 1947. Ce tirage comprenait une gravure d’Henri Matisse pour les exemplaires de tête.
Tous ces aphorismes, René Char les reprendra dans Fureur et mystère qui voit le jour aux éditions Gallimard en 1948. [source]
À la santé du serpent
(english translation: Simon Taylor)
I
Je chante la chaleur à visage de nouveau-né, la chaleur désespérée.
I SING THE WARMTH IN THE FACE OF A NEWBORN,
THE DESPERATE WARMTH.
II
Au tour du pain de rompre l’homme, d’être la beauté du point du jour.
THE BREAD’S TURN TO BREAK MAN,
TO BE THE DAWN’S BEAUTY.
III
Celui qui se fie au tournesol ne méditera pas dans la maison. Toutes les pensées de l’amour deviendront ses pensées.
HE WHO BELIEVES THE SUNFLOWER WON’T BROOD IN THE HOUSE.
ALL THOUGHTS OF LOVE WILL BE HIS THOUGHTS.
IV
Dans la boucle de l’hirondelle un orage s’informe, un jardin se construit.
A STORM INQUIRES INTO THE SWALLOWS LOOP,
A GARDEN IS CONSTRUED.
V
Il y aura toujours une goutte d’eau pour durer plus que le soleil sans que l’ascendant du soleil soit ébranlé.
THERE WILL ALWAYS BE A WATER DROP TO OUTLAST THE SUN
THAT WILL NOT SHAKE THE SUN IN ITS ASCENDANCY.
VI
Produis ce que la connaissance veut garder secret, la connaissance au cent passages.
MAKE THAT WHICH FAMILIARITY WOULD KEEP SECRET,
FAMILIARITY WITH ITS HUNDRED HALLWAYS.
VII
Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.
THAT WHICH COMES TO THE WORLD TO DISTURB NOTHING
MERITS NEITHER CONSIDERATION NOR TOLERANCE.
VIII
Combien durera ce manque de l’homme mourant au centre de la création parce que la création l’a congédié?
HOW LONG WILL THIS LACK AT THE CENTRE OF CREATION LAST
OF THE DEATH OF MAN BECAUSE CREATION HAS REJECTED HIM?
IX
Chaque maison était une saison. La ville ainsi se répétait. Tous les habitants ensemble ne connaissaient que l’hiver, malgré leur chair réchauffée, malgré le jour qui ne s’en allait pas.
EVERY HOUSE WAS A SEASON. THE CITY WAS THUS REPEATED.
ALL OF ITS INHABITANTS TOGETHER KNEW ONLY WINTER,
IN SPITE OF THE WARMTH OF THEIR FLESH,
IN SPITE OF THE DAY THAT WOULDN’T LEAVE THEM.
X
Tu es dans ton essence constamment poète, constamment au zénith de ton amour, constamment avide de vérité et de justice. C’est sans doute un mal nécessaire que tu ne puisses l’être assidûment dans ta conscience.
YOU ARE A POET IN YOUR BEING CONTINUOUSLY, AT THE ZENITH OF YOUR LOVE CONTINUOUSLY,
HUNGRY FOR TRUTH AND JUSTICE CONTINUOUSLY. NO DOUBT IT IS A NECESSARY EVIL
THAT IN YOUR CONSCIENCE YOU CAN’T BE SO ASSIDUOUSLY.
XI
Tu feras de l’âme qui n’existe pas un homme meilleur qu’elle.
YOU’LL MAKE OF THE SOUL WHICH DOESN’T EXIST
A MAN BETTER THAN IT.
XII
Regarde l’image téméraire où se baigne ton pays, ce plaisir qui t’a longtemps fui.
LOOK AT THE RECKLESS IMAGE
IN WHICH YOUR COUNTRY IMMERSES ITSELF,
THIS PLEASURE THAT FOR A LONG TIME ESCAPED YOU.
XIII
Nombreux sont ceux qui attendent que l’écueil les soulève, que le but les franchisse, pour se définir.
THOSE WHO WAIT TO BE LIFTED UP BY WHAT BLOCKS THEM,
TO BE PASSED THROUGH BY THEIR END,
IN ORDER TO BE DEFINED,
ARE NUMEROUS.
XIV
Remercie celui qui ne prend pas souci de ton remords. Tu es son égal.
THANK HIM WHO PAYS YOUR REMORSE NO MIND.
YOU ARE HIS EQUAL.
XV
Les larmes méprisent leur confident.
TEARS SCORN THE SYMPATHISER.
XVI
Il reste une profondeur mesurable là où le sable subjugue la destinée.
THE DEPTH IS STILL MEASURABLE THERE
WHERE FATE FOUNDERS IN SAND.
XVII
Mon amour, peu importe que je sois né: tu deviens visible à la place où je disparais.
MY LOVE, WHO CARES THAT I WAS BORN:
YOU BECOME VISIBLE AT THE PLACE WHERE I DISAPPEAR.
XVIII
Pouvoir marcher, sans tromper l’oiseau, du coeur de l’arbre à l’extase du fruit.
THE POWER TO WALK,
WITHOUT FOOLING THE BIRD,
FROM THE HEART OF THE TREE
TO THE FRUIT’S ECSTASY.
XVIX
Ce qui t’accueille à travers le plaisir n’est que la gratitude mercenaire du souvenir. La présence que tu as choisie ne délivre pas d’adieu.
WHAT YOU GET FROM PLEASURE
IS ONLY THE MERCENARY CONSUMMATION
OF NOSTALGIA. THE TRACE
YOU’VE PICKED
GRANTS NO ADIEUS.
XX
Ne te courbe que pour aimer. Si tu meurs, tu aimes encore.
DON’T BOW YOUR HEAD
EXCEPT TO LOVE.
IF YOU DIE,
STILL YOU LOVE.
XXI
Les ténèbres que t’infuses sont régies par la luxure de ton ascendant solaire.
THE DARKNESSES INSTILLED IN YOU
ARE SUBJECT TO THE CUPIDITY
OF YOUR SOLAR ASCENDANT.
XXII
Néglige ceux aux yeux de qui l’homme passe pour n’être qu’une étape de la couleur sur le dos tourmenté de la terre. Qu’ils dévident leur longue remonstrance. L’encre du tisonnier et la rougeur du nuage ne font qu’un.
IGNORE THEM IN WHOSE EYES MAN PASSES FOR NO MORE THAN A TONE OF COLOUR
ON THE EARTH’S TORTURED BACK. LET THEM REEL OFF THEIR LENGTHY REMONSTRANCE.
THE POKER’S INK AND THE REDNESS OF CLOUD ARE JUST ONE.
XXIII
Il n’est pas digne du poète de mystifier l’agneau, d’investir sa laine.
IT’S UNWORTHY OF THE POET
TO MYSTIFY THE LAMB,
TO INVEST HIMSELF IN WOOL.
XXIV
Si nous habitons un éclair, il est le coeur de l’éternel.
OUR LIFE IS IN THE LIGHTNING,
TO BE IN THE HEART OF THE ETERNAL.
XXV
Yeux qui, croyant inventer le jour, avez éveillé le vent, que puis-je pour vous, je suis l’oubli.
EYES WHO, THINKING TO CREATE THE DAY,
YOU’VE WOKEN UP THE WIND,
WHAT COULD I FOR YOU,
I AM OBLIVION.
XXVI
La poèsie est de toutes les eaux claire celle qui s’attarde le moins aux reflets de ses ponts.
Poèsie, la vie future à l’intérieur de l’homme requalifié.
POETRY IS OF ALL CLEAR WATERS
THAT ONE WHICH SLOWS THE LEAST
TO REFLECT ITS BRIDGES.
POETRY, THE FUTURE LIFE
INSIDE OF THE MAN RETRAINED.
XXVII
Une rose pour qu’il pleuve. Au terme d’innombrables années, c’est ton souhait