« Comprendre le texte » implique « se comprendre face au texte », et réciproquement : chaque progrès en familiarité avec le texte exige et dénote à la fois un minimum d’approfondissement de soi.
Que signifie cette mystérieuse corrélation de deux pôles mutuellement constituants, un pôle subjectivité – le soi du lecteur – et un pôle objectivité – le monde du texte.
Pour mieux comprendre cette relation soi-monde, je me propose de revenir sur la connexion entre phénoménologie et herméneutique qui résume toute l’entreprise de Ricoeur et de l’éclairer sur le point que voici : on est enclin à voir comme une divergence majeure par rapport à l’esprit de la phénoménologie originelle l’inflexion – que l’on pourrait qualifier de « diltheyenne » – que Ricœur lui a imprimée en l’orientant vers le dialogue avec les sciences humaines1. Et, par contrecoup, on sera tenté de reprocher à Husserl de s’être enferré dans une voie intuitionniste et égologique l’aveuglant sur la dimension symbolique et langagière de l’expérience2. Or, une étude précise du dernier volume publié des oeuvres complètes de Husserl – Husserliana XXXIX, volume qui donne un choix de textes posthumes sur sa théorie de la Lebenswelt contemporaine de la transition entre les Méditations cartésiennes et la Krisis3 – révèle l’importance accordée à Dilthey par Husserl lui-même pour l’intégration de l’histoire et de la culture dans l’horizon d’une expérience subjective fondamentalement centrée sur la perception. Il s’avère que le tournant diltheyen de la phénoménologie remonte, en fait, au Husserl de la dernière période, où la constitution transcendantale du monde perçu est déterminée comme passage du monde muet (stumme Welt), qui est celui du corps sensible, de l’instinct et des kinesthèses du corps agissant, au monde parlant (ausgesprochene Welt) des institutions sociales et des oeuvres de la culture.
Il n’y a en cela rien à retirer aux mérites de Ricoeur, parce que faute d’avoir connaissance de ces textes qui viennent seulement d’être transcrits et édités, il lui a fallu frayer sa propre voie entre description et interprétation, dans un effort pour faire de la phénoménologie l’instrument adéquat de sa confrontation avec les sciences humaines. J’y verrais plutôt un motif d’admiration renouvelée, puisqu’en corrigeant notre perception de son ouverture de la phénoménologie à ces mêmes sciences humaines, nous aurons une nouvelle preuve de la solidité de son enracinement phénoménologique dans le fait que l’option diltheyenne, à laquelle est associée son oeuvre, apparaîtra d’avance inscrite au programme complet de la constitution transcendantale du sens de l’expérience subjective.
[lire le texte de Petit dans over-blog]
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