Le sertão au coeur du monde actuel
Bacurau est le dernier film des réalisateurs brésiliens Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, qui avaient déjà travaillé ensemble dans des productions acclamées par la critique telles que Les Bruits de Recife (2012) et Aquarius (2016). C’est aussi le nom (fictif) d’un petit village enfoncé dans le sertão du Nordeste brésilien où l’action se déroule, ainsi que celui d’un oiseau nocturne, un peu moche et agressif, qui habite la région. Le film appartient à la nouvelle vague du cinéma du Nordeste brésilien, mais il est aussi l’héritier d’une vaste tradition culturelle qui passe par le Cinéma Nouveau de Glauber Rocha, le cinéma marginal de Rogério Sganzerla, certains sommets de la littérature brésilienne comme João Guimarães Rosa, jusqu’à arriver à quelques motifs-clefs du mouvement musical du Tropicalisme, créé dans les années 1960 par Caetano Veloso, Gilberto Gil, Gal Costa, Tom Zé, parmi d’autres. Bacurau s’assume comme film de genre, sans pour autant se réduire à un seul. Il les croise plutôt et les transgresse, nouant des traditions cinématographiques brésiliennes aux westerns de Sergio Leone et Sam Peckinpah, mais aussi aux films d’action futuriste à la Mad Max (George Miller) et Robocop (Paul Verhoeven), aux films de terreur-trash de George Romero (Night of the living dead) et, surtout, aux films de John Carpenter. Tous ces éléments sont finement adaptés et incorporés à un contexte politique précis et localisé. Le film échappe ainsi aux formules et aux clichés faciles, et ne se rend pas facilement identifiable. Pendant ses 130 minutes il nous laisse parfois perdus, comme en suspension, avec une sensation prolongée de malaise et d’étrangeté, qui ne se dissipera jamais totalement, même pas quand les enjeux deviennent finalement clairs, que l’action se déclenche et atteint un rythme frénétique.texte de Maria Rita Cesar et André Duarte