Laurent Mucchielli: Pour une psychologie collective : l’héritage durkheimien d’Halbwachs et sa rivalité avec Blondel durant l’entre-deux-guerres

Halbwachs et Blondel sont les héritiers directs de la génération des fondateurs des sciences humaines à l’université. De fait, la question des (r)apports entre leurs deux disciplines a déjà une histoire au moment où ils s’en emparent. De surcroît, ils ne sont pas les seuls auteurs de leur génération à se passionner pour une question dont on peut en réalité dire que son traitement est un enjeu intellectuel et disciplinaire central dans l’entre-deux-guerres. Pour mieux situer ces deux auteurs et leur débat, il faut donc faire quelques rappels et quelques mises en contexte.

Au tournant du siècle, Durkheim et son équipe initiale définissent fondamentalement la sociologie comme une psychologie collective et ils réussissent à intéresser fortement les psychologues de leur époque, au point d’amener progressivement certains d’entre eux à concevoir la nécessité de revisiter la plupart des objets traditionnels de la psychologie à la lumière de l’influence du social. Théodule Ribot – le principal artisan de l’institutionnalisation de la psychologie à la fin du XIXème siècle – ayant donné l’exemple, nombre de jeunes psychologues vont suivre et prolonger ce débat durant l’entre-deux-guerres. Charles Blondel, Georges Dumas puis Ignace Meyerson sont sans doute les plus importants. De leur côté, les héritiers de Durkheim ne cessent de réinvestir cette réflexion sur la psychologie collective. Ainsi, Marcel Mauss, Maurice Halbwachs, Lucien Lévy-Bruhl et Marcel Granet reprennent chacun à leur manière le débat lancé par Durkheim sur le rôle des représentations collectives dans la structuration des états de conscience individuels.

Du côté des sociologues, comme de celui des psychologues, ces recherches individuelles participent donc d’une dynamique collective qui apparaît nettement à travers les multiples contributions composant les deux épais volumes du Traité de psychologie dirigé par Georges Dumas, commencé avant la guerre et publié finalement en 1923-1924. Le débat s’exerce au grand jour dans de nombreux lieux de confrontations. Sociologues et psychologues se rencontrent du reste régulièrement lors des réunions de la Société de psychologie de Paris à partir de 1920 et de celles de l’Institut de sociologie à partir de 1924. Signe d’une commune démarche volontaire, le dialogue est officialisé par la participation régulière des uns aux activités des autres en tant que membres de droit et souvent même dans les positions les plus honorifiques. C’est ainsi que Mauss fut élu président de la Société de psychologie pour l’année 1924, et c’est à cette occasion qu’il prononça la fameuse conférence sur les « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », rompant avec le ton polémique et dominateur de Durkheim avant la guerre, invitant les représentants des deux disciplines à un dialogue étroit sur des objets précis.

Les acteurs de l’époque ont du reste bien perçu l’intensité inédite de ce dialogue. En 1925, commentant l’évolution du champ intellectuel français au lendemain de la guerre, Dominique Parodi va jusqu’à écrire que deux événements scientifiques se dégagent nettement comme des nouveautés : le premier est la discussion de la théorie de la relativité d’Einstein, le second et « le plus curieux » est « une sorte de rapprochement et comme d’alliance entre la psychologie et la sociologie ». Analysant le contenu du Traité de psychologie dirigé par Dumas et l’évolution des idées de son temps, Roger Lacombe estime de son côté que : « nul doute que nous assistons à l’élaboration d’une doctrine [psycho-sociologique] dont la constitution sera l’un des faits marquants de l’histoire de la psychologie dans la première moitié du XXème siècle ». in fine sur les rapports entre sociologie et psychologie.

Laurent Mucchielli « Pour une psychologie collective : l'héritage durkheimien d'Halbwachs et sa rivalité avec Blondel durant l'entre-deux-guerres », Revue d'Histoire des Sciences Humaines 1/1999 (no 1), p. 103-141.
URL :
www.cairn.info/revue-histoire-des-sciences-humaines-1999-1-page-103.htm.
DOI : 10.3917/rhsh.001.0103.

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